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Comment les problèmes d'anus de Louis XIV donnèrent naissance à un hymne...

  • Photo du rédacteur: Memoria Mundi
    Memoria Mundi
  • 15 avr. 2020
  • 7 min de lecture

La médecine s'est souvent développée par des histoires surprenantes. En voici une, aussi incroyable qu'inattendue, qui donna naissance à une nouvelle méthode de chirurgie et à un hymne national. Pour découvrir cette histoire de fesses pas comme les autres, lisez cet article !


Portrait de Louis XIV par Le Brun vers 1661-1662.

Tout commença avec une plume semble-t-il. Oui oui, une plume, servant à rembourrer l'un des coussins destinés à recevoir le royal fessier du "plus grand roi du monde". Et bien cette plume n'était pas comme toutes les plumes, car elle eut l’audace en 1686 de venir piquer le royal postérieur de Sa Majesté Louis Dieudonné roi de France et de Navarre. Si l'indigne incident fut d'abord ignoré par Louis le Grand, il lui fallut bientôt s'en préoccuper car la blessure donna naissance à une fistule. Pour ceux d'entre nous qui ne sont pas médecins, une fistule n'est autre qu'un abcès. Et celui-ci était fort mal placé car situé directement entre le rectum et une glande anale. Autant vous dire que ça ne devait pas être agréable.


Scène de lavement au XVIIIe siècle. Museo Nacional do Azulejo, Lisbonne (Portugal).

Le premier médecin du roi, Antoine d'Aquin, commença par effectuer des lavements sur la noble personne royale. Cela consistait tout simplement à envoyer une solution d'eau salée sur la zone de l'abcès à l'aide d'une grande seringue métallique appelée "clystère". Il me semble important de vous préciser que l'outil n'était bien évidemment pas stérilisé puisque la stérilisation ne devait être inventée que 124 ans plus tard par Nicolas Appert. En plus de cela, le bon médecin recommanda également au roi de boire de l'eau minérale. Étrangement, ces bons procédés de médecine ne furent pas très efficaces. N'oublions pas qu'à la même époque, Molière lui-même, se moquait de l'ignorance des médecins en ces termes :

« Presque tous les hommes meurent de leurs remèdes et non pas de leurs maladies. » (Le malade imaginaire, Jean-Baptiste Molière, 1673).

Et justement, le cas du roi, loin de s'améliorer finit même par s'aggraver. Le premier médecin du roi fut alors bien forcé de reconnaitre son impuissance, dont il témoigna ainsi par écrit :

"Il est assez difficile de bien connaître la cause de la tumeur dure et glanduleuse qui est survenue à Sa Majesté et qui a donné naissance à cette fâcheuse fistule qui a duré tout un an, sans avoir pu céder qu’au fer et au feu." (1).

Portrait d'Antoine d'Aquin par Hyacinthe Rigaud, 1685.

Le roi, sur les conseil de son ministre Louvois, décida donc de se tourner vers son premier barbier-chirurgien, Charles-François Félix de Tassy (alias Félix). Oui vous avez bien lu, un barbier-chirurgien. Il faut savoir qu'à cette époque, la chirurgie était assez mal considérée et on lui préférait l'art plus noble de la médecine. Jusqu'au Concile de Tours de 1163, les membres du clergé détenaient le monopole de la chirurgie. Mais ils finirent par se rendre compte que les fidèles venaient plus les voir pour le salut de leur corps que celui de leur âme (inadmissible n'est ce pas ?). Le Concile de Tours publia donc un décret annonçant que "L’Eglise hait le sang" ce qui entraina l'interdiction pour tout membre du clergé de pratiquer la chirurgie. A partir de cet instant, le corps de métier des barbiers reprit le flambeau. Pourquoi les barbiers me direz-vous ? Et bien tout simplement parce qu'ils étaient les seuls à détenir des lames d'assez bonne qualité pour effectuer les opérations de chirurgie. Ils devaient néanmoins pratiquer leur art sous les instructions d'un médecin. Mais revenons à nos moutons, après avoir examiné Sa Majesté, Félix conclut que seul une opération permettrait de résoudre le problème. Ce qu'il annonça ainsi au roi :

"Sire je m'inquiète un peu, car l'opération que je vais devoir faire est cruciale."

Et le roi de lui répondre :

"Entraînez-vous Félix. Toutes mes galères et toutes mes prisons vous sont ouvertes.".
Charles-Francois Félix de Tassy – (1635-1703), premier chirurgien du roi Louis XIV.

Et Félix s'entraina. Pendant plusieurs mois et ce, dans le plus grand secret ! Rien ne devait filtrer de cette opération car depuis le mois de Juillet, la Ligue d'Augsbourg venait de se former contre Louis XIV. Elle réunissait une grande partie des royaumes européens et le roi, loin d'être naïf, se doutait bien que les espions ne manquaient pas à Versailles. Il lui fallut donc, malgré ses souffrances, faire bonne figure et ne rien laisser paraitre de la douleur constante qui l'accablait. Et ce pendant pas moins de dix mois ! Ce temps, Félix le mit à profit pour s'entrainer sur des fistuleux de l’hôpital et des cadavres. Il inventa même un nouvel outil avec une courbe dite "à la royal' qui devait mieux lui permettre d'atteindre la vilaine fistule.


Écarteur & Bistouri "à la royal" de Félix de Tassy (conservés au Musée d'Histoire de la Médecine).

Le 18 Novembre 1686, à Versailles, à 7h du matin, l'opération eut finalement lieu (2). Étaient présents Félix bien sûr, mais aussi les médecins d'Aquin, Fagon, Bessières et La Raye. La Cour, elle, se trouvait à Fontainebleau et même le dauphin, partit à la chasse ce matin-là, ignorait tout de ce qui allait se passer dans la chambre du roi. Sa Majesté dut s'allonger sur son lit avec un traversin sous le ventre afin de lui relever les fesses (oui je sais ce n'est pas la première image qui nous vient à l'esprit quand on pense à un grand roi comme Louis XIV). L'opération dura 3h ! Et sans anesthésie il faut bien le préciser ! Durant ces trois heures qui durent être bien difficiles, le roi aurait simplement déclaré :

"Est-ce fait, messieurs ? Achevez et ne me traitez pas en roi ; je veux guérir comme si j'étais un paysan" (3).

L'opération fut un succès (au grand soulagement de Félix qui risquait tout de même sa tête). Et le soir même, Louis XIV tint conseil comme si de rien n'était ! L'abbé de Choisy nota tout de même dans son journal que :

"On voyait pourtant la douleur peinte sur son visage. Son front était presque toujours en sueur, de pure faiblesse ; et, cependant, il donnait ses ordres et se faisait rendre compte de tout. Il mangeait en public dans son lit et se laissait voir deux fois par jour aux moindres de ses courtisans" (4).

On peut dire ce que l'on veut mais il faut bien admettre que Louis XIV n'était pas une chochotte ! A partir de cet instant, la nouvelle se répandit et courtisans comme gens du peuples entendirent ce soir là qu'on venait "de faire au roi la grande opération". Félix fut grandement récompensé par le roi qui le rémunéra grassement ce qui lui permit d'acheter la seigneurie de Tassy qui avait été anoblie par Sa Majesté. Mais Félix de Tassy ne pratiqua plus jamais la chirurgie après cette affaire car cet épisode, parait-il, l'avait traumatisé au point qu'il ne pouvait plus tenir un scalpel sans que sa main ne souffre de graves tremblements. L'ensemble du corps des barbiers-chirurgiens tirèrent les bénéfices de ce succès et quelques décennies plus tard, en 1731, Louis XV inaugura même une Académie Royale de Chirurgie. L'évènement lança également une mode pour le moins inattendue chez les courtisans : se faire opérer de la fistule (Non mais quelle idée !).

La nouvelle de l'opération s'étant répandue dans le royaume, on aurait pu craindre qu'elle ne vienne entacher quelque peu la réputation du roi. Mais cela aurait été bien mal connaitre Louis XIV qui fit de ce malheureux évènement le "coup de pub" du siècle ! Tout le pays célébrait maintenant la guérison miraculeuse du roi (on omit bien évidemment de dire que ce pauvre Félix dut opérer le roi encore deux fois au moins avant la fin de l'année 1686 pour que cet épisode soit définitivement clos). Tout le pays se rassembla autour de cet évènement et la Ligue d'Augsbourg dut se le tenir pour dit : Louis XIV et le Royaume de France ne seraient pas si aisément vaincus. Pour l'occasion, Madame de Maintenon demanda à Lully, le musicien de la Cour, de composer une musique célébrant la guérison du roi. Madame de Brinon, première supérieure à la Maison Royale de Saint-Louis (future école pour jeune filles de Saint-Cyr), en écrivit les paroles. Ce cantique, qui fut par la suite entonné par les Demoiselles de Saint-Cyr à chaque visite royale, fut intitulé "Seigneur, sauve Le Roi". Les plus anglophones d'entre vous l'aurons deviné cette chanson n'était autre que le futur "God Save The King" (actuel God Save The Queen, reine oblige).


Alors comment un cantique destiné à célébrer la fin des problèmes de fistule de Louis XIV devint-il l'hymne national de nos cher voisins d'Outre-Manche ? Et bien il existe deux hypothèses. La première repose sur le roi d'Angleterre James II de la Maison Stuart. Ce roi qui demeura en exil en France à partir de 1689 aurait entendu le cantique et décidé de l'adopter à son retour sur son trône. Sauf qu'il ne devait jamais récupérer ledit trône puisqu'il mourut en exil en 1701. Dommage pour lui ! Son fils, James III continua d'essayer de récupérer le trône de papa et en 1745, lors d'une ultime tentative, ses partisans entamèrent enfin le fameux cantique (bon malgré tout il ne récupéra pas le trône non plus). L'autre hypothèse, c'est qu'en 1714, un certain Haendel, compositeur officiel du roi d'Angleterre George Ier, était de passage à Versailles. Quand il entendit l'hymne de Lully, il fut immédiatement conquit. Il se hâta donc de l'écrire et de le traduire en anglais. Et, après avoir réarrangé un peu la musique, il alla le présenter à son roi. Ravi, George Ier le fit jouer dans la plupart des cérémonies auxquelles il assistait. Avec le temps, le cantique fut finalement adopté comme hymne national du Royaume Uni (comme quoi, il faut toujours vérifier les sources avant de choisir un hymne).


Bon il faut quand même avouer que la deuxième version est un peu plus dynamique que la première mais cela n'en reste pas moins un bon gros plagiat musical. Il faut également que je vous dise que bon nombre d'historiens britanniques ne veulent absolument pas entendre parler de cette histoire alors ne remuez pas trop le couteau dans la plaie lors de vos prochaines visites Outre-Manche. Le mot de la fin sera donc laissé à la marquise de Créquy et à sa plume acérée :

"Que l'hymne des anglais sorte d'un anus ne cessera jamais de me faire rire, sans toutefois jamais me surprendre !" (Sympa pour les anglais).


Sources :

(1) : Alexandre MARAL, Louis XIV tel qu'ils l'ont vu, Places des Editeurs, 2015.

(2) : Vallot, d'Aquin, Fagon - Journal de santé du roi Louis XIV de l'année 1647 à l'année 1711, Durand, 1862, page de 1686.

(3) : Jean-Christophe Servant, « Louis XIV : la délicate question qui agite la Cour… », GEO,‎ janvier 2011.

(4) : Alexandre MARAL, Louis XIV tel qu'ils l'ont vu, Places des Editeurs, 2015.


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