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Et ainsi commença la guerre de Cent Ans !

Dernière mise à jour : 5 avr. 2020

Vous souvenez-vous de ce qui déclencha la plus longue guerre que connut le Royaume de France ? Il est bien plus facile de se rappeler comment elle s'est terminée. Mais qu'est ce qui a bien pu pousser les rois de France et d'Angleterre à se battre pendant plus de 116 ans ? Laissez-moi donc vous raconter cette histoire...



Tout commence avec une femme, une certaine Aliénor, duchesse d'Aquitaine. C'est en Mars de l'année 1152 que se produisit une chose impensable : Aliénor, reine de France depuis 15 ans, et son époux, Louis VII, roi de France, divorcent ! Pire encore, deux mois plus tard, Aliénor se remarie avec Henri II Plantagenêt, duc de Normandie, et héritier du trône d'Angleterre. Ce tout jeune homme d'à peine 19 ans, possédait déjà, en plus de la Normandie, le Maine et l'Anjou, et le voila maintenant, par son mariage duc d'Aquitaine ! Ce qu'il faut bien comprendre c'est que si par ce mariage les rois d'Angleterre deviennent désormais ducs d'Aquitaine, l'Aquitaine en elle-même continue de faire partie du Royaume de France. Autrement dit, les ducs d'Aquitaine sont des vassaux du roi de France et chaque nouveau roi d'Angleterre, à la mort de son père, devait aller voir le roi de France pour lui prêter hommage (comprenez ici lui jurer fidélité et obéissance) afin d'hériter du duché ! Autant vous dire qu'à partir de cette année 1152, les relations entre les rois des deux royaumes furent régulièrement tendues ! Certains historiens vous dirons d'ailleurs que d'une certaine manière, la guerre de Cent Ans commence dès cette époque et dura donc bien plus qu'un siècle !


Gisant d'Aliénor d'Aquitaine, Abbaye de Fontevraud.

Faisons maintenant un bon dans le temps. Nous sommes en l'année 1314 et la situation n'a pas beaucoup changé. Les rois d'Angleterre sont toujours obligés de prêter serment aux rois de France pour devenir ducs d'Aquitaine. Or, le 29 Novembre de cette année-là, le Roi de France, Philippe IV le Bel mourut. Il avait eu de son mariage avec la Reine Jeanne de Navarre quatre enfants qui atteignirent l'âge adulte : Louis X le Hutin, l'ainé, Philippe V le Long, le cadet, Charles IV le Bel, le benjamin, et Isabelle de France, la petite dernière et sa seule fille. Avant de mourir, Philippe le Bel avait marié la jeune Isabelle au roi d'Angleterre, Édouard II, en l'année 1308 dans l'espoir d'améliorer les relations entre les deux royaumes. En 1314, son fils ainé, Louis X le Hutin, devint donc le nouveau roi de France. Malheureusement, à peine deux ans plus tard, le 5 Juin 1316, il décéda à son tour. Il faut quand même que je vous précise que cette mort ne fut pas très glorieuse. En effet, il est dit qu'après avoir beaucoup transpiré en jouant au jeu de paume (l'ancêtre du tennis), il voulut se rafraichir en buvant un verre d'eau (ou de vin selon les versions) glacé. La différence de température entre son corps et la boisson lui aurait alors causé un malaise qui lui fut fatal. Quoiqu'il en soit, sa mort entraina une vacance du trône de France. Sa première épouse, Marguerite de Bourgogne, lui avait donné une fille, Jeanne, qui devint reine de Navarre. Sa seconde femme, Clémence de Hongrie, était quant à elle enceinte d'environ 3 mois. Si l'enfant à naitre était un fils, il deviendrait le nouveau roi de France, en revanche, dans le cas où cet enfant serait une fille, le trône irait au frère cadet du roi, Philippe le Long. Philippe avait en effet argumenté qu'un héritier mâle serait une bien meilleure alternative à une héritière et ainsi disqualifié la fille ainée du roi. Le 14 Novembre 1316, Clémence de Hongrie accoucha d'un fils, Jean Ier le Posthume (surnommé ainsi car né après la mort de son père). Imaginez la déception de Philippe qui se voyait déjà couronné après être parvenu à écarter sa nièce ! Mais cette déception fut de courte durée car cet enfant-roi ne vécut que 5 jours. Ainsi, en ce mois de Novembre 1316, le second fils de Philippe le Bel, Philippe V le Long, devint le nouveau roi de France.


Gisant de Louis X le Hutin, Nécropole Royale de la basilique de Saint-Denis

Le règne de Philippe V le Long ne fut pas beaucoup plus long que celui de son frère ainé. A partir du mois d'Août 1321, le roi fut atteint de dysenterie et de paludisme. Pour le guérir, ses médecins décidèrent d'utiliser un morceau de bois, un clou de la Vraie Croix et une relique (le bras de Saint Simon). Étonnement, ce traitement ne fonctionna pas très bien (surprenant n'est-ce pas ?) et le roi vint à mourir après 5 mois de souffrance dans la nuit du 2 au 3 Janvier 1322. Avant son décès, il avait eu quatre filles. L'ainée, Jeanne, Comtesse de Bourgogne et d'Artois, aurait très bien pu lui succéder et devenir reine de France. Cependant, son oncle, le troisième et dernier fils de Philippe le Bel, Charles, se souvint que son frère ainé, Philippe V, avait, quelques années plus tôt, obtenu la couronne de France en discréditant sa nièce. Trouvant l'idée bonne, il utilisa le même procédé pour éliminer de la course au trône ses quatre nièces et succéder à son frère. Ainsi, le dernier des fils de Philippe le Bel, Charles IV le Bel, fut couronné roi de France le 21 Février 1322.


Enluminure du XIVe siècle représentant le Sacre de Philippe V le Long en 1317, BNF.

Tout comme ses frères, Charles IV le Bel ne régna pas longtemps. A peine six ans après son accession au trône, il mourut à son tour le 1er Février 1328. Et l'histoire sembla alors se répéter : comme son frère ainé avant lui, sa femme, Jeanne d'Evreux, était enceinte au moment de sa mort. Une fois encore, le royaume retint son souffle : si l'enfant était un fils il deviendrait roi, si au contraire il s'agissait d'une fille, la situation serait beaucoup plus compliquée. Et cette fois-ci ce fut bel et bien une fille qui naquit le 1er Avril 1328, la princesse Blanche de France. Ce fut la fin du miracle Capétien : pour la première fois depuis l'ascension au trône d'Hugues Capet en 987, il n'y avait pas d'héritier mâle dans la descendance directe du roi pour hériter du trône. Alors qui pouvait bien monter sur ce fameux trône ? Et c'est là que la situation devint pour le moins compliquée (oui oui jusque là c'était facile alors accrochez vous bien) !


Tête de la statue du gisant des entrailles de Charles IV de France par Jean de Liège, 1372, Musée du Louvre.

Tous les fils de Philippe le Bel étaient morts et leurs fils respectifs également. Les filles des trois frères furent rapidement écartées car, si il n'y avait plus de fils de Philippe le Bel en vie, il restait toute de même quelques garçons vivants dans la famille. Souvenez-vous, Philippe le Bel, outre ses trois fils, avait également une fille, la jeune Isabelle qu'il avait mariée à l'âge de douze ans au roi d'Angleterre. Or, Isabelle était désormais une jeune femme de trente-deux ans qui avait depuis donné naissance à un fils nommé Edouard III d'Angleterre. Edouard était donc le petit-fils de Philippe le Bel et le neveu des trois derniers rois de France. Mais il n'était pas le seul prétendant au trône : le frère de Philippe le Bel, Charles de Valois, était mort en 1325 mais il avait eu lui aussi un fils, nommé Philippe (encore un), devenu Comte de Valois. Philippe de Valois était ainsi le cousin de Louis X, Philippe V et Charles IV. Ce fut donc un duel de neveu contre cousin.

Généalogie des prétendants au trône de France lors de la crise de succession de 1328.

Pour départager les deux prétendants, on fit appel aux grands seigneurs du royaume, les Pairs de France, qui durent voter pour élire le nouveau roi. Or, imaginez la tête des Pairs de France à l'idée que le roi d'Angleterre, tout petit-fils de Philippe le Bel qu'il fut, devienne également roi de France. Pourtant, la loi était claire : le nouveau roi devait être le plus proche parent du roi défunt. Et justement, être le neveu du roi, c'était mieux que d'être son cousin. Edouard III était donc légalement l'héritier légitime du trône. Et pourtant, ce fut Philippe de Valois qui devint roi de France. Les Pairs de France choisirent d'élire un roi français plutôt que de voir un roi d'Angleterre sur le trône de France. Mais il leur fallut justifier légalement leur vote et comme je vous l'ai dit, la loi était en faveur d'Edouard. Alors les Pairs du royaume firent appel à des juristes afin qu'ils concoctent une belle explication (comprenez arnaque) juridique. Les juristes fouillèrent donc les archives du royaume et finirent par trouver une solution. Ils ressortirent des oubliettes une vieille tradition franque qu'ils modifièrent un peu et la firent passer pour une des Lois Inaliénables du royaume de France (vous savez ces quelques lois qui dateraient de Mathusalem et que même les rois ne pourraient ni contourner, ni supprimer). Cette vieille tradition franque c'était la loi salique (1) et cette loi remontait en fait au moment où les Francs Saliens s'installèrent en Gaule avec l'autorisation des romains. Les romains signèrent avec les premiers chefs Francs un contrat qui attribuait des terres en Gaule aux Francs en échange de quoi les guerriers Francs défendraient ces terres contre d'autres envahisseurs, protégeant ainsi l'empire romain des attaques extérieures. Ces terres, protégées par les chefs Francs leur serait donc confiés à eux et à leurs fils de façon héréditaire. D'une certaine façon, par ce traité, les guerriers Francs étaient intégrés à l'armée romaine. Or, une femme ne pouvait pas faire partie de l'armée romaine. Donc ce traité stipulait que les terres confiées aux Francs ne pouvaient se transmettre que de père en fils. Mais en 1328, ce traité était depuis longtemps oublié et n'était plus d'actualité puisque, comme vous le savez, il n'y avait plus d'empire romain depuis quelques temps déjà. Les juristes dépoussiérèrent donc ce vieux traité dont ils se servirent pour créer une loi qui stipulait que le royaume de France ne pouvait se transmettre que de père en fils et ce dans l'ordre des naissances (autrement dit l'ainé d'abord et ainsi de suite). C'est seulement depuis ce moment là qu'il fut officiellement interdit aux femmes de succéder à leur père en tant que reine de France. Jehan le Bel résume d'ailleurs assez simplement la chose dans sa Chronique

"Le royaume de France est bien si noble qu’il ne doibt mie aller à femelle" (2).

Autrement dit, le Royaume de France était trop cool pour être dirigé par une simple femme... On peut difficilement faire plus clair n'est ce pas ? Et justement, Edouard III tenait ses droits sur la couronne de sa mère, Isabelle de France. Mais si Isabelle, n'avait plus de droits sur cette couronne de France, alors elle ne pouvait transmettre des droits qu'elle n'avait pas à son fils. De cette façon, la loi salique permit de disqualifier Edouard III de la course au trône. Le nouveau roi de France en 1328 fut donc Philippe VI, le premier des Valois.


Philippe VI de Valois, détail de l'enluminure "Le procès de Robert d'Artois",1336, Paris, BNF, (ms. français 18437, fo 2).

Vous me direz, toute cette histoire est bien jolie mais pourquoi vous raconter tous ces détails de successions assez compliqués ? Quel rapport avec la guerre de Cent Ans ? Et bien justement rappelez vous l'Aquitaine ! Et oui, cette Aquitaine dont les rois d’Angleterre étaient les ducs. Et bien une fois la crise de succession de 1328 réglée et Philippe VI couronné roi, on envoya des émissaires auprès d'Edouard III pour lui annoncer que, non seulement il avait perdu la couronne de France, mais qu'en plus il lui fallait maintenant venir prêter hommage au nouveau roi de France. Autant vous dire qu'Edouard ne fut pas enchanté. Et pourtant, il s'exécuta (bon gré mal gré) et vint rendre hommage au roi en 1329 sans faire trop d'histoires. Pourquoi ? Et bien pour être honnête avec vous, toute cette histoire de succession était passée un peu au dessus de la tête du roi Edouard qui avait d'autres chats à fouetter à ce moment là. Sa mère, Isabelle venait tout juste de renverser son père, Edouard II, qu'elle avait forcé à abdiquer en faveur de leur fils avant de le faire enfermer (et oui quand on est la fille de Philippe le Bel, on ne lambine pas dans les pâquerettes). Edouard III était donc un tout jeune roi de dix-sept ans, sous la régence de sa mère, et faisait face à une petite guerre civile. Alors en 1329, il ne fit pas trop d'histoire et prêta l'hommage. Mais huit ans plus tard, en 1337, une fois ses petits problèmes réglés et après avoir mis sa mère en retraite forcée et en résidence surveillée (telle mère tel fils), il avait enfin le champs libre pour se tourner vers le problème de l'Aquitaine. Depuis des décennies maintenant, cette terre était la cause de querelles incessantes entre les deux royaumes. Considérant inacceptable d'être le vassal d'un autre roi,  Edouard III décida qu'il était temps de revendiquer son héritage. Il se déclara donc roi de France tout seul dans son coin, et envahit ce qu'il considérait être son royaume spolié. Évidemment, Philippe VI, bien installé sur le trône depuis neuf ans n'avait pas l'intention d'en bouger. La guerre fut donc déclarée entre les deux rois pour la couronne de France. Ne vous y trompez pas, Edouard III n'espérait pas devenir roi de France. Son but était bien plus subtil : en déclarant la guerre, il espérait entrainer des négociations de paix qui lui permettrait de réclamer l'Aquitaine comme terre Anglaise en dédommagement. Or, si l'Aquitaine ne faisait plus partie du Royaume de France, alors les rois d'Angleterre ne seraient plus les vassaux des rois de France. Le problème serait ainsi réglé. Malin cet Edouard ! Mais pour déclarer la guerre, il lui fallait un motif légitime et la spoliation de son héritage était l'excuse parfaite. Comme vous pouvez vous en douter, Philippe VI ne se laissa pas faire et entendit bien défendre son royaume et son trône. Mais cette guerre prit rapidement une tournure et une ampleur que ni Edouard III, ni Philippe VI n'aurait probablement pu imaginer. Et ainsi commença la guerre de Cent Ans...


Edouard III rendant hommage à Philippe VI, Miniature, Grandes Chroniques de France de Charles V, BNF, (Fr.2813).


Bonus :

A vous lecteurs qui avez eut le courage de lire ce récit jusque là et qui vous êtes accrochés dans les méandres compliqués de la généalogie royale, sachez que si les anglais finirent par perdre la guerre de Cent Ans, depuis 1337, tous les rois d'Angleterre continuèrent de porter le titre de roi de France en plus de leurs titres de roi d'Angleterre et d’Irlande ! La célèbre reine Elisabeth Ière signait par exemple ses lettres du titre de "Reine d'Angleterre, de France, et d'Irlande, Défenseure de la Foi, etc.". Il fallut attendre 1801 ou 1802 (encore un débat d'historiens) pour que le Roi George III cesse de se faire appeler "George III, par la Grâce de Dieu, roi de Grande-Bretagne, de France et d'Irlande, Défenseur de la Foi, etc." pour devenir tout simplement "George III, par la Grâce de Dieu, roi du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande, Défenseur de la Foi" (avouez que c'est un chouilla plus court). (*) C'est d'ailleurs pour cette raison que l'on peut observer des fleurs de lys sur le blason de l'Angleterre jusqu'au début du XIXe siècle.

Blason de l'Angleterre (1558-1603).

Sources :

(1) : Boris BOVE, Le temps de la Guerre de Cent Ans 1328-1453, Belin, Paris, 2014, pp. 57-61.

(2) : Les vrayes chroniques de Messire Jehan le Bel, publiée par M. L. Polain, Bruxelles, Heussner, 1863.

(*) : Guillaume H. R. de MONTGAILLLARD, Histoire de France, depuis la fin du règne de Louis XVI jusqu'à l'année 1825, Tome IX, Moutardier, Paris, 1827.

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