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Guillaume le Charpentier, un sacré croisé !

Dernière mise à jour : 15 avr. 2020

Connaissez-vous Guillaume le Charpentier, fameux participant de la Première Croisade ? Non ? Et bien laissez moi vous conter son histoire (pour le meilleur ou pour le pire)...

Il était une fois, Guillaume, premier du nom, Seigneur de Melun. C'est vers 1084, à la mort de son père, Ursion de Melun (oui oui vous avez bien lu, Ursion...), que notre cher Guillaume devint Vicomte de Melun. Sa famille ayant toujours été fidèle aux rois de France, c'est le roi Philippe Ier en personne qui le confirma dans ses privilèges.

Comme tous les nouveaux seigneurs, il lui fallait maintenant s'illustrer par des faits d'arme. Et quelle meilleure occasion pour cela que d'aider le roi Alphonse VI de Castille à reprendre Tolède, alors aux mains des Almoravides ? Ce fut donc décidé. En 1087, Guillaume parti en direction de Tolède, accompagné d'autres chevaliers français pour participer à la Première Reconquista. Avant d'aller plus loin, laissez moi vous avertir, ceci n'est pas le récit d'un héro. Et pour vous le prouver, voici ce qu'écrivit le chroniqueur Guibert de Nogent à son propos :


"[Guillaume] était puissant en paroles mais bien moins en actions... un homme qui entreprenait  de faire des choses trop grandes pour lui..." (1).

Pas très élogieux n'est-ce pas ? Alors qu'est-ce qui a bien pu mal tourné ?

Malheureusement, l'expédition française partie pour sauver Tolède, n'arriva jamais à destination. Avant même d'atteindre la ville, les seigneurs français se firent attaquer à plusieurs reprises par les Almoravides et furent contraints de faire demi-tour. Toujours selon notre ami Guibert de Nogent, Guillaume fut particulièrement remarqué ce jour là pour sa fuite pour le moins peu glorieuse :


"Il se retira comme un misérable, abandonnant de nombreux hommes dans sa fuite" (2).

Pas très reluisant... Qu'à cela ne tienne, notre seigneur de Melun ne se laissa pas abattre par cette défaite ! A son retour en France, il décida de se lancer dans une nouvelle aventure : la Croisade !


Le départ pour la croisade, issue des Statuts de l'Ordre du Saint-Esprit, XIVe siècle, BNF, Paris, MS Fr. 4274, f. 6.

Le problème, c'est qu'une croisade ça se finance et notre ami Guillaume ne croulait pas sur l'or... Alors le Vicomte de Melun eut une brillante idée : piller ses voisins pour financer son départ ! Guibert de Nogent raconte ainsi qu'il :


"prit à ses pauvres voisins le peu qu'ils avaient afin de se fournir honteusement en provisions pour son voyage".

Hum... Pas très sympa ce Guillaume. Mais peu importe le voila partit. Nous sommes alors en 1096.

Il commença d'abord à se diriger vers l'Allemagne où il rencontra le seigneur Emich de Flonheim. Très vite, les deux hommes se lièrent d'amitié et lorsque Emich lui proposa de se rendre en Hongrie pour attaquer les seigneurs locaux, tout en massacrant tous les juifs rencontrés sur leur passage, Guillaume accepta, bien évidemment... C'est d'ailleurs lors d'une bataille en Hongrie qu'il gagna son surnom : sur le champ de bataille, il rencontra l'un des chefs hongrois qu'il décapita d'un seul coup d'épée ! Cet exploit lui valu d'être surnommé le "Charpentier" en raison de sa force (rien à voir avec ses talents de bâtisseur).


Après cette bataille, l'armée d'Emich de Flonheim fut dispersée et Guillaume de Melun rencontra un nouveau compagnon de route : Hugues de Vermandois, son propre cousin. Ce dernier lui proposa à son tour de se joindre à lui pour se rendre à Constantinople avant de partir pour la Terre Sainte. Guillaume, toujours partant pour une nouvelle aventure, accepta de bon cœur. Ils se rendirent d'abord à Bari, sur la côte sud-est de l'Italie. De là, il leur fallut négocier leur passage vers Constantinople auprès des gouverneurs des citées Byzantines locales. C'est Guillaume qui fut chargé de cette tâche par son cousin et sa mission fut un succès (pour une fois). Arrivés à Constantinople, Guillaume et Hugues rencontrèrent l'Empereur Alexis Ier Comnène. Malheureusement, ils parvinrent à l'offenser dès leur arrivée et furent donc emprisonnés (rien de bien grave rassurez-vous juste une petite assignation à résidence au palais de quelques mois).



Arrivée des croisés à Constantinople. Miniature de Jean Fouquet tirée des Grandes Chroniques de France, BnF.

Toujours en cette année 1096, après avoir étés libérés, Guillaume de Melun et Hugues de Vermandois rencontrèrent un autre compagnon de voyage, Godefroy de Bouillon, chef de la Première Croisade, qui leur proposa de l'accompagner jusqu'à Jérusalem dans le but de s'en emparer. Guillaume et son cousin acceptèrent et se mirent en route. Mais avant de prendre Jérusalem, il leur fallait s'emparer des autres citées sur leur chemin. Parmi elles, se trouvait la ville d'Antioche.

C'est en 1097 que nos croisés parvinrent aux portes de la ville tenue par les troupes musulmanes. Ils l'assiégèrent et réussirent à s'en emparer. Malheureusement pour eux, à peine s'étaient-ils installés dans la ville qu'une nouvelle armée musulmane, menée par Kerbogha de Mossoul, s'approchait pour la reprendre. Un nouveau siège commençait et cette fois nos croisés étaient les assiégés. N'ayant pas eu le temps de faire des provisions pour ce siège, ils commencèrent rapidement à manquer de vivres.


Peu enclin à mourir de faim à Antioche, Guillaume de Melun décida alors de prendre la poudre d'escampette, et il ne le fit pas seul. A ses côtés dans cette fuite se trouvait un certain Pierre l'Ermite. Peut-être avez vous déjà entendu parler de lui ? Pierre était un moine ayant relayé les premiers appels à la Croisade en 1095. Il avait ainsi mené une armée de pauvres bougres (des péquenauds soyons honnêtes) dans ce qu'on appela ensuite la Croisade des Pauvres, une croisade avant la Première Croisade. Cette armée populaire s'était d'abord rendue à Constantinople mais le Basileus Alexis Comnène ne savait trop qu'en faire. Alors il leur conseilla d’attendre l'arrivée de l'armée des seigneurs et barons à l'extérieur de la ville. Le problème c'est que Pierre l'Ermite perdit rapidement le contrôle d'une partie de son "armée" et ces derniers se mirent à piller les faubourgs de Constantinople. Pressé de s'en débarrasser, l'Empereur organisa donc rapidement leur traversé du Bosphore pour les envoyer en Terre Sainte où une grande partie d'entre eux se fit massacrer. Pierre l'Ermite parvint bien sûr à s'en sortir et finit sa route à Antioche.


Attaque d'Antioche par les croisés qui escaladent les murs Sébastien Mamerot, Les Passages faits outremer par les Français contre les Turcs depuis Charlemagne jusqu'en 1462. Bourges, Jean Colombe, 1474-1475. BnF, Manuscrits (Fr 5594 fol. 59v)

Mais revenons à nos moutons si vous le voulez bien, où plutôt à nos croisés. Guillaume de Melun et Pierre l’Ermite prirent donc la fuite en 1098 lors du siège d'Antioche. Or, Guillaume faisait alors parti de l'armée du chef croisé Bohémond de Tarente. Comme vous l'imaginez, ce noble seigneur n'apprécia guère d'apprendre qu'un de ses "preux chevaliers" s'était enfuit en pleine nuit aux cotés d'un moine. Alors il envoya son neveu, Tancrède, à leur poursuite. Ce dernier parvint à les capturer le 20 Janvier 1098 et les ramena de force à Antioche au camp de Bohémond. Pierre l'Ermite fut rapidement pardonné, ce n'était qu'un moine après tout. Guillaume passa quant à lui un sale quart d'heure. Bohémond le fit tenir toute une nuit debout dans sa tente en signe de repentance. Il l'accusa d'être un lâche, le pire des chevaliers français, et lui rappela qu'il avait déjà pris la fuite des années plus tôt lors de la Première Reconquista. Autant vous dire que ça chauffait pour Guillaume...


Au petit matin, d'autres chefs de la Croisade intervinrent : après tout Guillaume était un chevalier qui n'avait jamais connu la faim, il avait pris peur et s'était mal conduit certes mais s'il promettait de ne plus recommencer tout serait pardonné... Bohémond ne fut pas convaincu par ces plaidoiries mais accepta tout de même de ne pas punir plus sévèrement le seigneur de Melun si ce dernier prêtait serment de ne plus prendre la fuite jusqu'à la prise de Jérusalem. Bien évidemment Guillaume s'empressa de promettre de se conduire honorablement désormais et tout finit bien dans le meilleur des mondes (3).


Cinq mois plus tard Guillaume s'était de nouveau enfui...

Le 10 Juin 1098, c'est un autre grand seigneur qui décida de prendre la poudre d'escampette, un certain Guillaume de Grand-Mesnil (un parent de Bohémond de Tarente, comme quoi ce pauvre Bohémond n'avait pas de chance). Dans sa fuite, il emmena d'autres chevaliers avec lui dont Guillaume de Melun. Nos deux Guillaume décidèrent donc de retourner à Constantinople (parce que c'était certainement mieux là-bas, moins de risques de mourir dans d'atroces souffrances).  Sur le chemin, il furent rejoint par Stéphane de Blois, un autre déserteur, qui décida de les accompagner. C'est sur cette route qu'ils firent une rencontre inattendue : Alexis Ier Comnène en personne à la tête d'une armée venue aider les croisés en difficulté à Antioche !


Alors là vous vous dites surement que nos larrons se sont fait tout petits, étant eux-mêmes des déserteurs de l'armée que l'Empereur venait sauver. Et bien pas du tout ! Guillaume de Melun et ses comparses allèrent tranquillement à la rencontre du Basileus à qui ils expliquèrent que non il ne fallait surtout pas aller à Antioche aider les croisés parce que ça craignait trop là-bas et que mieux valait les raccompagner à Constantinople où tout le monde pourrait fêter sa survie autour d'un bon verre. Pas difficile à convaincre, Alexis Comnène fit faire demi-tour à ses troupes et l'armée de secours n'arriva jamais à Antioche grâce à l'intervention de notre cher Guillaume de Melun (4).



De retour en France dans sa Vicomté de Melun, Guillaume ne reçu pas un accueil très chaleureux. En effet, depuis sa fuite, les croisés d'Antioche étaient tout de même parvenus à s'en sortir sans armée de secours (Merci qui ? Merci Guillaume !). Bohémond de Tarente était désormais Prince d'Antioche et Godefroy de Bouillon s'était emparé de Jérusalem. Les déserteurs qui étaient rentrés avant ces victoires furent donc moqués par leurs voisins et réprimandés par leurs familles respectives. Celle de Guillaume le força donc à retourner en croisade pour redorer un peu le blason familial (ou peut-être pour s'en débarrasser qui sait...).

Et ainsi, vers 1101, Guillaume le Charpentier se rendit donc (bon gré mal gré) une fois encore en Croisade. Plusieurs de ses compagnons, comme Stéphane de Blois, furent tués lors de ce second voyage. Guillaume, pas courageux pour deux sous mais très chanceux, parvint à se rendre à Jérusalem. Une fois sur place il s'installa parmi la noblesse locale et commença à se mêler à la politique du nouveau royaume. Il pétitionna avec plusieurs nobles le nouveau roi Baudouin Ier afin qu'il restaure (contre son gré) Daimbert de Pise en tant que Patriarche de Jérusalem, et il participa à la bataille d'Ascalon en 1102.


Finalement, notre Guillaume choisit de se ranger. Il s'installa sur un petit lopin de terre situé, près d'Antioche, et devint le vassal de ce bon vieux Bohémond. C'est là qu'il finit probablement par mourir (de vieillesse faut-il le préciser).



Avant de nous quitter, quelques dernières informations à connaitre :

  1. L'histoire de Guillaume de Melun inspira probablement un personnage littéraire bien connu : le fameux Ganelon de La Chanson de Roland, l'incarnation même du traitre et du félon !

  2. Si le château de Melun n'existe plus aujourd'hui, il est tout de même possible de visiter un autre château construit par les descendants de Guillaume : le Château Fort de Blandy-les-Tours en Seine-et-Marne situé à 15mn de Melun (pour plus d'info c'est par ici).


Donjon et Tour des Gardes du Château de Blandy-les-Tours, Département de Seine et Marne.

Références :

(1) : Guibert de Nogent, Histoire des croisades (Gesta Dei per Francos, vers 1111), trad. F. Guizot, Collection des mémoires relatifs à l'histoire de France, 1825 ; Hachette Livre BNF, 2012.

(2) : Guibert de Nogent, Histoire des croisades (Gesta Dei per Francos, vers 1111), , 2012.

(3) : Gesta Francorum, traduction de Louis Bréhier, Histoire anonyme de la première croisade, Paris, Éditions " Les Belles Lettres ", 1964 (1924), pp. 77-79.

(4) : Albert d'Aachen, Susan B. (éd. & tr.) Historia Ierosolimitana, Oxford University Press, Edgington, 2007.


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